past life

I know what darkness means. You took my everything now I'm coming for you !
C'est une chanson qui résonne dans son esprit embrumé. L'avion décolle au-dessus des paysages familiers qu'elle ne reverra jamais. La vie s'écrit par la main d'un presque inconnu, venue l'arracher à une existence facile et douce. Pas de sourire sur le visage jonché de cicatrices, pas de mots doux, de condoléances, de temps pour pleurer les morts d'une orpheline. La disparition a été soudaine, rentrée de l'école dans une maison vide, attendant chez la voisine amicale de voir ses parents reparaître. Trois jours durant, aucun signe de vie, jusqu'à ce qu'un oncle débarque pour la reprendre. Les autorités averties, quelques jours de plus pour être certain que rien ni personne n'est encore là pour l'enfant.
Puis les corps sans vie, retrouvés morts d'une cause inconnue. Un animal sauvage. Un règlement de compte. Un monstre dans l'imagination de l'enfant qui ne cesse de pleurer jusqu'à s'en faire punir de son désormais parent : "Il te faudra apprendre à être meilleure que cela. Les pleurs sont pour les faibles, et bien que tu sois une fille tu n'as plus le choix d'être forte." Bien que tu sois une fille, disait-il comme pour la condamner d'une chose qu'elle ne pouvait avoir décidé.

Son père ne parlait jamais de sa famille. Pas d'histoire, pas de nom, pas d'anecdotes amusantes. Comme s'ils n'avaient jamais existé. Et parce que Iris était une enfant discrète et timide elle n'osa jamais poser la moindre question à ce sujet. Rien ne l'aurait préparé à perdre si soudainement ses parents. Moins encore de retourner auprès de la famille que son père avait quitté, guidée par un oncle dont elle avait ignoré l'existence jusqu'à présent. Ce dernier s'était établi en Irlande depuis quelques décennies maintenant - c'est là qu'elle devait aller vivre. C'est là qu'elle devait apprendre à vivre autrement. "Je vais t'apprendre tout ce que ton père t'a caché. J'espérais qu'il aurait eut un fils, mais je vais devoir me contenter de toi." Enfant terrifiée, muette et perdue, elle regarda le ciel s'assombrir quand la nuit tomba, et dit adieu à son innocence.

Justice is blind, but i trust you
Coup après coup volèrent sur la face de la pré-adolescente. De ses treize ans elle se tient au mieux devant son adversaire, parant certains gestes pour se voir piéger et mise à terre. Une fois encore, le souffle coupé, le visage tordu par la douleur et la lèvre qui saigne. L'entrainement n'a jamais été tendre, il est cependant de plus en plus douloureux. "Lèves toi" , l'injonction résonne bien qu'avant de l'entendre elle s'était déjà remise sur pied. Plus de patience, elle sait qu'il n'existe pas de règle dans ses combats, simplement l'impératif de survivre. Elle frappe, loupe son adversaire qui a juste cinq ans de plus qu'elle. Trop, mais pour son esprit combatif mû par le désir de se rendre meilleure que les autres pour leur prouver qu'elle est plus qu'ils ne pensent cinq ans ce n'est rien. Pas assez pour perdre - rien ne sera jamais une excuse pour perdre.

En général elle perd. Dans le monde des chasseurs de Black Waters, perdre c'est être soumise, c'est faire le sale boulot que les autres refusent : nettoyer les armes et les habits sanglant, nourrir les bouches et servir les verres à la cabane perdue. C'est être au service des autres, à défaut de pouvoir se rendre utile sur le terrain. La place d'une femme, entend-t-elle constamment, serrant les dents pour ne pas se faire mordre. Mais la rage grandit dans un corps trop frêle : elle leur montrera un jour. Alors elle s’entraîne, constamment, oubliant parfois de dormir plus de quelques heures. Elle prend bâton, flingue, punching ball - qu'importe, tant qu'elle peut être meilleure. Elle tire, frappe à s'en faire saigner les phalanges, grogne et hurle et frappe encore. Nul temps pour regretter ou se poser la moindre question. "Parfois, j'en viens à regretter de t'avoir ramenée. Mais le sang prime sur l'envie : tu es de mon sang, ta place est ici." Pas de réponse autre qu'un regard dans le vide à imaginer la gueule ébahie des autres chasseurs du clan quand elle deviendra plus brave, rapide et douée qu'eux tous réunis.


How can you see into my eyes like open doors
Des monstres, rien de plus : qu'importe leurs forces, leurs désirs, la hiérarchie naturelle où une proie doit être chasseur, ils n'en restent pas moins des bêtes aux yeux d'Iris. Ils doivent tous mourir, puisque c'est pour cela qu'elle a été entrainée. Puisque c'est pour cela que son oncle se bat, qu'il l'a amenée ici, qu'il en a fait une tueuse (bien que jamais assez bonne pour lui). Qu'ils meurent tous pour qu'elle ait enfin la reconnaissance qu'elle mérite. A vingt ans, elle part en chasse avec ses cousins - pas de lien de sang, juste des promesses de se tenir ensemble face à l'ennemi et de pousser leur limite le reste du temps. Elle court, elle rugit, elle grogne et frappe comme les autres - avec plus de férocité, plus de hargne, plus de désir de se voir récompenser comme victorieuse. Pas de victoire cependant - un coup de griffe dans la gueule, un hurlement qui ruine le soir. Elle perdit son oeil, première marque de guerre, première souffrance physique rappelant que jamais elle ne sera assez bonne pour être invincible. "J'vais t'faire bouffer tes crocs, fumier ! se met-elle à hurler, l'oeil en sang et l'adrénaline qui la rend ivre et folle. Elle s'évanouit, sans savoir si dans son élan de rage elle gagna le combat.

Un cache-oeil, avant de pouvoir récolter l'argent pour en avoir un presque neuf - assez bien fait pour que peu devine qu'elle ne voit rien à travers. Jamais ne cessèrent les entraînements pour réapprendre à combattre, à viser le centre de la cible, à savoir frapper où il convient. "Tu devrais peut être juste restée dans le camp, faire des enfants qui seront eux de vrais chasseurs." Le coup part sans qu'elle y pense, le corps réagissant sans qu'elle ne l'empêche. Face à son premier ami. Son premier copain. Son premier amant. Son pire ami. Son meilleur ennemi. "Crèves avant que ça n'arrive." Aucune réponse meilleure que celle-ci : frapper son poing sur la joue de ceux qui dépassent les limites de son acceptable.

She's the man without fear
Chaque victoire était un dessin sur sa peau. Chaque cicatrice, une marque à ouvrir pour y glisser un piercing. Tableau vivant de ses combats, elle était une guerrière sans n'être rien de plus. Machine de guerre, à tuer et à se venger du regard des autres. Confiance constamment bafouée, elle ne l'accorda à personne, pas même à son oncle. Ses amis n'avaient ce nom qu'à défaut d'un autre : aucune confidence ou douceur, juste des combats et des chasses. La vie dans la communauté était étouffante, la rendant plus sauvage : fauve enfermée dans une cage devenue trop petite pour elle. A ses trente ans, elle partie simplement, avec un sanc comportant ses quelques rares affaires. Vivre devant, dans la rue, le temps de trouver un boulot quelconque : servir des bières dans un bar, danser autour d'une barre ou qu'importe vraiment. Elle les collectionna, jusqu'à avoir un appartement parmi de nouveaux étrangers. Jamais elle n'abandonna la mission, pas même le clan : elle voulait juste ne plus être en cage. Mais ses habitudes restèrent. Elle frappait plutôt que parler. Elle ne faisait confiance qu'à elle. Elle ne saisissait pas les mouvements, les paroles, les plaisanteries des autres autour d'elle. Mordante, elle ne sut se faire des amis, outre parmi les recueils d'histoire qu'elle découvrit. Comics, bande dessinés, films : les supers héros se dévoilèrent comme une évidence dans sa vie trop froide. Excessive, elle les collectionna des lors, emplissant son petit appartement de mille et un objets.

Puis le tremblement de terre - celui-ci fit s'effondrer une partie du toit, réduisant à peu de chose le nid qu'elle s'était formée. Pas moyen de sauver grand chose - quelques rares ouvrages qu'elle remporta pour retourner au clan. Désemparée, refusant d'y rester plus que nécessaire. Comme après avoir goûtée à la liberté pour retourner en cage : elle voulait plus. Piquée dans sa curiosité bien qu'elle ne laissait rien transparaître. Elle voulait chasser, certes, laver le monde des monstres qui lui avaient arraché ses parents - selon les dires de son oncle - mais elle voulait aussi être indépendante. Elle voulait être forte. Elle voulait être courageuse. Elle voulait être indépendante. Elle voulait être insoumise. Elle voulait être une Femme. A présent, elle espère pouvoir trouver un boulot qui lui permette de repartir plus près de Black Waters, dans le centre des événements : pouvoir chasser rapidement, efficacement jusqu'à être la grande gagnante de son histoire.