past life

I. Le Magicien
“ Is this the real life ?
Is this just fantasy ?
Caught in a landslide
No escape from reality
Open your eyes
Look up to the skies and see
I'm just a poor boy, I need no sympathy
Because I'm easy come, easy go
A little high, little low
Anyway the wind blows, doesn't really matter to me, to me” [Bohemian Rhapsody - Queen]
Au loto de la vie, il y a des gagnants et des perdants. Si vous avez le malheur de dire cela devant Volya, vous vous prendrez probablement une bonne salade de phalanges dans la figure. Volya, il n'a jamais cru au destin. Il n'a jamais cru à grand-chose au fond.

Quand Volya est né, sa mère l'appela Milo. Voulait-elle souligner par là qu'il était un enfant gracieux ou bien qu'il ferait un bon combattant ? Ou peut-être qu'elle trouvait juste le prénom mélodieux. Personne ne pourrait donner d'explication. La mère, tout juste une gamine, déposa l'enfant sur le pas de la porte d'un orphelinat. Sans une lettre. Sans une explication. Juste le prénom Milo, sur un bracelet. Et elle disparut dans la nuit.
Le bébé fut adopté par Nikita et Olga Antonov, et quitta l'orphelinat pour une petite maisonnette de Zvenigovo. Il fut rebaptisé Vladimir.

Il a toujours su qu'il n'était pas l'enfant de Nikita et Olga. Physiquement, s'il avait leurs expressions, il ne leur ressemblait pas le moins du monde. Il était du genre maigre et grand, alors que ses parents étaient plutôt du genre trapu. Mais cela ne lui posa jamais de problèmes. On lui expliqua très tôt et très sommairement que parfois, des adultes qui ne peuvent pas avoir d'enfants ont la chance de pouvoir élever l'enfant d'une personne qui ne pouvait pas s'en occuper. L'explication lui parut logique et recevable.

Enfant, Volya aimait les choses simples. Rester à l'école, le cul sur une chaise, n'en faisait pas vraiment partie. Il n'aimait pas devoir écouter. Il aimait apprendre des nouvelles choses, oui. Mais pas ânonner bêtement les choses. Loin de là. Il n'aimait pas non plus quand ses camarades l'embêtaient, se moquaient de ses yeux trop grands, qui lui mangeaient le visage. Des yeux qui semblaient toujours demander pourquoi.

XVI. La Tour
“Quand vous croisez plus un seul regard et que personne vous voit, vous finissez par vous demander si vous existez encore.” [Nous rêvions juste de Liberté - Henri Loevenbruck]
Sa taille le rendait maladroit. Il n'avait aucune idée de la façon dont il occupait l'espace. Il perdait toujours les bagarres contre les autres garçons. Il apprit à être lâche parce que ça lui évitait de devoir justifier ses écorchures. De voir la déception dans le regard de Nikita. Il n'était pas très populaire. Il s'en moquait. Il n'était pas bon à l'école. Mais par contre, dès qu'il fallait bricoler quelque chose, trouver une solution pratique, il coiffait tout le monde sur le poteau.

Il devint le genre de gamin que personne ne remarque. Discret, effacé. Il apprit à regarder le monde autour de lui. Il se prit de fascination pour la mécanique. Le bruit des moteurs avait une couleur vive, chaleureuse. Mais il n'en parlait à personne. Quand il avait dit que chaque musique avait une couleur, il s'était fait railler. Les gens qui se moquaient, il les voyait d'un marron terne. Les couleurs des émotions négatives étaient toujours ternies.

Ce qu'il aimait par dessus tout, c'était de se promener, presque se perdre dans le parc national de Mari Tchodra. Il se sentait mieux en forêt. Plus calme. Il devenait adolescent et contrairement à ses camarades, il y avait quelque chose d'autre qui changeait chez lui. Il ne comprenait pas quoi. Mais un jour où il était rentré en colère, après que Dimka lui ait une fois de plus flanqué une raclée, il avait aperçu une étrange lueur dorée dans son regard.

Heureusement pour lui, la première fois qu'il se transforma, de façon totalement impromptue, il était seul et dans la forêt. Et totalement mort de trouille. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il crut d'abord à un rêve ou une hallucination. Métamorphe. Il croyait que ce genre de truc c'était que dans les films et les bouquins. Impossible d'en parler à qui que ce soit, évidemment. Ça le rongeait de l'intérieur, mais si les gens ne comprenaient pas qu'on puisse voir la musique, alors que diraient-ils en voyant un métamorphe ?

XIII. L'Arcane Sans Nom
“Si j'avais toute cette violence à l'intérieur, c'était peut-être simplement parce qu'il y avait la place.”[Nous rêvions juste de Liberté - Henri Loevenbruck]
Une. Deux. Trois tâches vermeilles qui déchirent le blanc éclatant de la neige. Qui luisent comme autant de rubis sous la clarté de la Lune.

La main de Volya se porte à sa lèvre fendue. Il fixe ses doigts maculés de sang - son sang - avec une curiosité presque ingénue pendant quelques secondes suspendues dans l'espace-temps. Quand son regard accroche celui de son père adoptif, il a le souffle violemment coupé par la haine qu'il y lit. L'expression inhumaine sur ce visage autrefois tant adulé le glace aussi sûrement que s'il était nu dans l'eau glacée de la Volga en plein hiver. Il sent un trou béant se former dans sa poitrine, un creux avide qui semble vouloir l'absorber en lui-même.

Nikita le renie. Il le bannit. Il lui crache sa haine en pleine gueule.
Une simple gifle.
Quelques mots.
Qui achèvent le travail du tir contre le renard. Ce renard qui n'était autre que son fils adoptif.
Non.
Il n'a pas de fils. Ce monstre n'est pas son enfant. Olga n'a rien dit. Olga s'est rangée du côté de son époux. Et peut-être qu'aussi son coeur à elle était brisé. Mais elle n'en a rien montré. Elle n'a rien dit.

Et Volya s'est retrouvé orphelin une seconde fois. Sa vie dans un seul sac, jeté à sa figure avec autant de force que d'insultes.
Les larmes ne sont pas venues.
La douleur qui pulsait de son flanc, de sa lèvre ne le faisait pas pleurer. Le Vide en lui ne le fit pas pleurer. Les Morts ne pleurent pas. Et il était mort une deuxième fois. Jeté au rebut. Humanité dysfonctionnelle.
Milo n'est plus.
Vladimir n'est plus.
Le gamin s'éloigne en boitillant et en frissonnant. Le bruit et la fureur de la vie autour de lui l'effleure sans le toucher. Il est engourdi. Pas par l'alcool des fêtards. Par le Vide. Il n'a que quinze ans. Il n'est plus rien.

XVIII. Le Soleil
“Tout à coup, j'ai eu l'impression d'avoir trouvé ma voie, comme ça, comme une révélation, à la seule vue de cette machine sortie de sous sa couverture. Juré. Comme frappé par l'éclair, j'ai compris que c'était ça que je voulais. C'était elle que je voulais.” [Nous rêvions juste de Liberté - Henri Loevenbruck]
Il se réfugie dans une casse où il avait pris l’habitude de traîne lorsqu’il n’était pas en cours. Le propriétaire des lieux le laissait faire. Il lui avait même appris à réparer les moteurs, ou repérer les pièces qui pouvaient être récupéré pour un usage ultérieur. Il décide de ne pas remettre les pieds en classe – il doute que quiconque remarque son absence de toute façon. Artyom ne pose pas de question. De toute manière, le gamin n’est pas très bavard.

Caché au fin fond d’une allée, recouvert d’une bâche tâchée et rugueuse, il découvre un vieux side-car piqué de rouille. Une Ural, ayant autrefois été celle du frère d’Artyom. Malgré l’usure et la saleté, Volya trouve l’engin magnifique. Il ressemble à un appel à l’aventure. Volya sent un sourire naître sur ses lèvres quand Artyom lui dit qu’elle sera à lui s’il parvient à la retaper. Il n’a pas d’outils à lui, alors il emprunte ceux d’Artyom, quand il ne bosse pas pour lui. Il passe sa vie le nez dans les moteurs, ses longues mains blanches tachées par l’huile et la graisse. Il est probablement dans l’état qui s’approche le plus du bonheur chez lui.

Il s’est aménagé “sa maison” dans un vieux fourgon, parfois, il dort dans le bureau. Il a refusé l’offre d’hébergement d’Artyom. Il ne veut plus dépendre de qui que ce soit. Il devient Volya. Cette liberté qu’il affectionne tant se paie d’une solitude certaine. Il n’a plus rien à voir avec le timide Vladimir. Il est devenu sauvage, avec un certain sarcasme, plus sombre aussi. Il n’est pas majeur, mais il est bel et bien adulte et sait se battre pour survivre.

Et puis un beau jour, l’Ural accepte de démarrer. Fierté et joie se mêlent et comblent momentanément le Vide. Sa décision est rapidement prise : il fourre ses rares affaires dans un sac, le sac dans le panier du side-car. Des adieux sobres à Artyom et le voilà qui quitte Zvenigovo.

VI. Les Amoureux
“I want to heal, I want to feel what I thought was never real
I want to let go of the pain I've held so long (Erase all the pain till it's gone)
I want to heal, I want to feel like I'm close to something real
I want to find something I've wanted all along somewhere I belong

And I've got nothing to say
I can't believe I didn't fall right down on my face (I was confused)
Looking everywhere only to find
That it's not the way I had imagined it all in my mind(So what am I)
What do I have but negativity
'Cause I can't trust to find the way, everyone is looking at me (Nothing to lose)” [Somewhere I belong - Linkin Park]

La vie de Nomade plaît à Volya. Il ne se pose à un endroit que lorsque l’argent se met à manquer et ne reste que le temps nécessaire pour renflouer ses poches percées. Quelques rencontres heureuses, d’autres bien moins. La collection de cicatrices s’aggrandit, la méfiance aussi. Il prend l’habitude de rester en retrait. Il ne cherche pas ouvertement le conflit, mais n’hésite pas à se battre. Il n’attend peut-être plus rien de l’existence,  mais il n’a pas des souhaits de mort pour autant.

Volya a apprivoisé une belette, surnommée Misha par ses soins, alors qu’il bivouaquait dans une forêt. L’animal, téméraire, s’était laisser approcher. Il avait décidé de faire du métamorphe son animal de compagnie. Du moins, c’était comme ça que le jeune homme voyait les choses.

Il rencontre sur sa route une métamorphe, plus jeune que lui. Elle a l’âge qu’il avait le jour où son renard est apparu et que les vrais ennuis ont commencé. Il ne lui demande pas ce qu’elle fait sur les routes. Mais il accepte de la laisser s’approcher.  Assez près de lui pour qu’il lui confie un jour les deux syllabes de son prénom de naissance. Assez près qu’il ait peur pour elle quand les ennuis arrivent. Assez près pour se réjouir lorsqu’Ileana devient Lynx, malgré les circonstances catastrophiques, malgré le trou dans son âme quand il échoue une fois de plus à prendre sa forme animale.

Il lui fait confiance sur sa vie. Volya s’efforce de la protéger de son mieux. Il la voit d’un orangé scintillant, comme le pelage d’un renard, comme le soleil qu’elle est pour lui. Elle chasse la noirceur quand il la tient contre lui. Il irait jusqu’en enfer pour elle. Il veille toujours sur elle pendant leur trajet. Les jours où la nourriture se fait maigre, il prétexte ne pas avoir faim et lui laisse les meilleurs morceaux. Même Misha semble avoir adopté la jeune fille. Elle l’accepte malgré ses défauts, malgré le Vide en lui.

0. Le Fou
“C’était un des ces moments où l'on se sent vivre pour de vrai, où plus rien ne compte que l'instant présent, parce que ce présent est si savoureux et qu'on a l'impression qu'il nous appartient tout entier.” [Nous rêvions juste de Liberté - Henri Loevenbruck]
Volya a fini par oublier un peu Zvenigovo et le Vide. L’errance les amènes jusqu’à Black Waters, l’Irlande. A peine débarqués du ferry, voilà que l’Ural, surnommée Sissi, rend l’âme. Comme un signe du Destin.
Voilà t’es arrivé au bon endroit.
Mais on l’a déjà dit, Volya ne croit pas au destin. Rhiannon s’éloigne, mais pas tant que cela. Il la voit souvent débarquer, comme un ouragan, comme un feu follet. Elle fait comme chez elle et lui la couve d’un regard amusé et protecteur.

Il sait qu’il peut compter sur elle. Elle est comme un rayon de soleil après une tempête. Comme un phare en pleine nuit. Quand la Rhapsody résonne furieusement, elle est là. Elle sait calmer ses tempêtes et adoucir ses nuits. Elle est son point d’ancrage quand tout part à vau l’eau. Il reste. Pour elle. Un peu égoïstement. Il se promet toujours de ne pas l’appeler quand le Vide le ronge de trop… Mais il échoue toujours. Peut-être parce qu’entre menteurs, ils se sont offerts la vérité et l’honnêteté.

Huit ans. Huit ans que leurs destins se sont liés. Huit ans qu’il reste pour elle. Qu’il s’est installé au trailer park. Il ne veut plus vivre dans une maison. Trop de portes. Trop de souvenirs. Il se moque d’être en marge. Du moment que Rhiannon est en sécurité. Il survit plus qu’il ne vit. Il observe des relations courtoises avec les gens, même s’il reste à distance. Il ne veut pas d’ennuis. Il n s’implique qu’en ultime recours.

Rhiannon revient. Elle a toujours cette lubie idiote de le faire travailler au Four Seasons, auprès de son Roi Pirate. Malgré son désamour des maisons aux nombreuses portes. Il finit par céder. Un entretien d’embauche. Il n’en a jamais vraiment passé. Rien qui ne soit formel en tout cas. Il a l’impression d’être déguisé. Déguisé en un humain ridicule. Mais elle chasse ses doutes, elle les balaye comme une poussière agaçante. Elle est resplendissante, comme toujours. Il cligne des yeux trois fois avant de sourire.

Il n’a pas besoin de parler. De lui dire. Elle comprend ses silences. Elle sait peut-être mieux que lui, parfois, ce qui se passe dans sa tête. Il hoche la tête et garde ses doigts entre les siens. Il déglutit doucement. Arrange le noeud de la cravate. Trois fois. Il n’a aucune idée de ce qu’il va devoir dire au Roi Pirate. Il n’a aucune idée de ce que va donner cet entretien. Qu’est-ce qu’il est censé dire ?
« Bonjour, je m’appelle Volya Zima et je suis un métamorphe estropié. »
On pouvait rêver mieux comme introduction.